L'oeil du pratiquant

Cet article a été réalisé par Julien Moreaux, avec Adrien Manderlier (A) et François-Guillaume Nihoul (FG) le 26 février 2021. 

Les avis exprimés dans cette interview ont pu mûrir avec le temps mais constituent une bonne base de réflexion et de discussion.

Publication originale : https://www.julienmoreaux.fr/post/l-%C5%93il-du-pratiquant-interview-de-fran%C3%A7ois-guillaume-nihoul-adrien-manderlier


Quelles sont les disciplines que vous pratiquez et depuis quand ? et depuis quand enseignez-vous ?


A : J’ai commencé ma pratique du Katori Shinto Ryu en 2004 en Belgique au sein d’une école de Ninjutsu, la DNBK. Mon attention s’est rapidement tournée vers le maniement des armes et j’ai suivi M. Abreu dans la fondation de son propre dojo, le Tai a Ki, dédié à l’époque à la pratique exclusive du Katori. C’est via cet enseignant que j’ai fait la rencontre de Lionel Oudart et de l’AIRBJ, me rendant régulièrement en stage et cours particuliers depuis.


En parallèle du Katori nous avions à l’époque pris nombre de cours de Kobujutsu avec Lionel. Cette synthèse propose des techniques très intéressantes faisant le pont entre la pratique des armes et la main nue. J’ai également eu l’occasion de faire un peu de yoga durant les stages d’été à Besançon.


Le Katori reste mon art de référence. Il y a dans le maniement du sabre quelque chose de très concret. Malgré l’usage du bokken, nous ne sommes pas ici dans le figuratif ; les frappes sont bien réelles. Cette école nous rappelle sans cesse qu’avant d’être un koryu très traditionnel il s’agissait d’un art de la guerre, d’une méthode de combat dont la bonne assimilation dépendait de la survie sur le champ de bataille. Pas de place pour les faux-semblants ici (bien que « chorégraphiés » sous forme de kajo) ou des échanges vides et sans saveur.


Quant à la question de l’enseignement il est difficile de mettre une date dessus : tout élève motivé se voit donner des missions d’enseignement pour peu qu’il dispose de quelques bases techniques. Ceci fait partie intégrante du Katori. Je pense avoir donné mes premiers cours à partir de 2012, c’était à Louvain La Neuve où nous tenions une salle.

Nous avons fondé Mushin no Ryu en 2018 avec François Guillaume et Edouard Xia. J’exerce à présent la médecine en Suisse depuis 2019 et j’attends l’opportunité de créer une nouvelle section Mushin no Ryu sur ces terres.


FG : Quant à moi, je pratique essentiellement le Katori Shinto Ryu depuis maintenant 9 ans. Mon parcours, au sein du Katori, est assez semblable à celui d’Adrien puisque nous avons quasiment commencé ensemble. Néanmoins, j’ai également pratiqué le Ninjutsu et le Wing Chun pendant quelques années. Je profite d’ailleurs du confinement pour me remettre doucement au Wing Chun, tant j’apprécie la polyvalence des arts-martiaux chinois vis-à-vis de l’approche japonaise bien plus carrée. J’enseigne le KSR depuis 2017, et avec Adrien, nous avons également ouvert plusieurs dojos en Belgique durant l’année 2018-2019 (sur Bruxelles, Namur et Louvain-la-Neuve).


Quel âge avez-vous ? Y a-t-il un âge pour commencer ces pratiques selon vous ?


A : J’ai aujourd’hui 31 ans. J’ai pris le bokken à l’âge de 15 ans. C’était un petit bokken. Je ne pense qu’il n’y a pas d’âge ni condition particulière pour pouvoir débuter en Katori Shinto Ryu. Un minimum de maturité est requis pour ne pas constituer un danger pour soi-même ou autrui, ce qui n’est pas forcément lié à l’âge. Une certaine maturité physique me semble par contre préférable, raison pour laquelle je ne conseillerais pas aujourd’hui de démarrer l’apprentissage du Katori avant 18 ans.


La vie fait que nous avons, tous et toutes, une disponibilité qui nous est propre. Cette disponibilité dépend de bien des facteurs et varie au fil du temps. Lorsque l’on considère ceci il est évident que l’on ne peut attendre la même expression technique de la part de chaque pratiquant. Je pense que la finalité n’est donc pas d’être capable ou non de produire une technique « parfaite » mais de s’être investit au meilleur de sa disponibilité et de tirer les fruits d’un entraînement rigoureux.

Ceci peut sembler naïf. Il est certain que l’art est difficile et requière de développer nombre de capacités. En faire une pratique réservée à une élite athlétique n’aurait néanmoins pas de sens, le champ de bataille n’attendant plus à coup sûr nos élèves !

FG : J’ai 29 ans et j’ai débuté la pratique martiale à l’âge de 12 ans (c’était du Ninjutsu à la DNBK avec Adrien). Voilà donc 17 ans que les arts-martiaux forgent et guident une bonne partie de ma vie. Etant par nature quelqu’un d’un peu chaotique, je dois bien avouer que ceux-ci m’ont énormément apporté en terme de structure et de discipline. Néanmoins, je pense qu’il toujours nécessaire d’adapter cette structure martiale en fonction des dispositions et des efforts de chacun (d’autant plus les enfants).


Les règles internes au dojo, la technique ou l’exigence martiale doivent, bien étendu, conserver leur universalité (il n’est absolument pas question de niveler, par le bas, un Kajo en le modifiant parce que ce dernier serait trop difficile), mais il est également important de conserver une certaine ouverture d’esprit, une certaine disponibilité pédagogique ou technique pour assurer que l’exigence propre à notre art martial ne favorise pas une impression coercitive. La discipline n’est, selon moi, pas un moule destiné à forger des clones, mais bien un tremplin qui doit accompagner la singularité de tout un chacun. Que chacun puisse pratiquer son Katori tout en conservant des bases communes (techniques, etc.) nécessaires à ce que l’on puisse comprendre ce que l’autre fait…c’est là, je pense, la différence d’une pratique vivante qui ne cesse d’évoluer avec une technique « morte » qui resterait ancrer définitivement dans son passé.


Or, si je pense que de telles structures demeurent plus que nécessaires dans une époque en perte de repères, le pratiquant doit également pouvoir combiner certaines dispositions psychologiques et sportives bien précises. En effet, l’exigence technique (et cette vocation à l’excellente qui l’accompagne) requière non seulement un véritable développement sportif quotidien (alimentation, capacités musculaires, pulmonaires ou cardiovasculaires, etc.) mais également une capacité à pouvoir se remettre en question permanente. Raison pour laquelle, dans notre dojo, nous ne sommes jamais favorables à l’admission d’étudiant ayant pas encore acquis une certaine maturité, autrement dit en dessous de l’âge de 18 ans (de jeunes adultes). Ayant moi-même commencé extrêmement jeune, je peux en témoigner : c’est seulement vers 22 ans, que j’ai commencé à m’épanouir dans l’apprentissage martial.



Quelles sont les raisons qui vous ont amené à pratiquer ces disciplines ?



A : La réponse est assez simple : J’étais jeune ! J’avais vu trop de film de samurai et lu trop de mangas. Mon inspiration de l’époque ne volait donc guère plus haut. Avec les années et l’expérience d’autres valeurs sont venues ; le Katori est une pratique vivante qui nous permet d’explorer et travailler nos forces et nos faiblesses tout en nous s’ouvrant à notre environnement. C’est un art complet qui constitue une véritable école de vie.


FG : Je pense que, comme un Adrien, mes premières intentions furent moyennement bonnes (rire) : j’étais jeune et je pensais pouvoir utiliser les arts-martiaux pour me défendre moi ou les personnes que j’aimais. Je crois que, je pensais pouvoir utiliser l’efficacité martiale pour m’assurer une forme d’autonomie. Avec le temps, évidemment, nous prenons conscience également d’autres raisons, comme la valeur de l’exigence technique et de son pouvoir disciplinaire ou encore de l’excellence martiale.



A quelle fréquence pratiquez-vous ?



A : J’ai déménagé en Suisse il y a un an, peu avant le Covid-19. J’ai eu le temps de prendre contact avec les dojos Vaudois avant que l’épidémie ne s’abatte sur nous et ferme les salles. La période actuellement est une traversée du désert pour la pratique mais me permet de me concentrer sur l’entraînement théorique et la préparation physique.


FG : Nous pratiquons généralement à hauteur de trois séances de deux heures par semaine (parfois 4 ou plus). Il faut également ajouter à cela facilement deux heures d’entrainement technique personnel. De plus, marqué par notre souhait de conserver une pratique incarnée et non idéalisée, nous encourageons également un style de vie particulièrement sportif, avec des séances groupées de running ou de renforcement physique. Si je dois personnellement cumuler la totalité des heures que je consacre au Katori (par mon travail technique, sportif et intellectuel), je dois facilement cumuler 15h par semaine.


Comment se nomment vos clubs ? Où se situent-ils ? Combien avez-vous d’élèves ? Le covid-19 a-t-il impacté votre pratique ?


Logo du club MUSHIN NO RYU



FG et A : Notre club se nomme le Mushin no Ryu. Selon nous, cette notion de Mushin résume parfaitement cette alliance conjointe de l’automaticité de la technique avec la capacité d’adaptation (et de dépassement de l’ego) dans l’action. Le nom de notre Dojo résume donc assez bien la méthode d’apprentissage que nous nous appliquons.


Nous avons actuellement deux clubs, l’un sur Namur et l’autre à Louvain-La-Neuve (les deux en Belgique donc). Nous cumulons une dizaine d’élèves actifs. Ce nombre réduit nous permet d’assurer un certain lignage technique qui conserve une certaine dimension qualitative…c’est qui n’est donc pas un mal !


Mais effectivement, nous avons été grandement impactés par le Covid-19 puisqu’il ne nous est plus possible de nous entraîner en salle. Nous avons néanmoins continué de donner cours…mais cette fois à l’extérieur (en respectant le masques et la distanciation sociale que nous offre le maai). Pratiquer à des températures hivernales n’est pas toujours aisé, mais c’est le prix à payer si nous souhaitons poursuivre notre apprentissage. Néanmoins, pratiquer lorsqu’il neige peut également confère une certaine poésie à la pratique du Katori, tout en nous donnant l’impression d’être dans un film de samurai (rire) !



Quel est le profil de vos élèves ?


A : La question est intéressante, j’y ai déjà partiellement répondu plus haut, notamment en ce qui concerne le principe de disponibilité. Nous ne faisons pas encore passer d’examen d’entrée à nos élèves mais une sélection naturelle s’opère systématiquement. Le Katori reste exigeant sur tous les plans, et nous en avons une vision dynamique. Les élèves se présentant uniquement pour jouer ou se défouler se heurtent systématiquement à un mur qui les oblige à s’investir ou partir. Nous n’avons néanmoins jamais chassé personne de nos cours me semble-t-il.


FG : Effectivement, pas à ma connaissance. Ceci dit, suivant notre désir d’enseigner à de jeunes adultes et de l’implantation de nos écoles non loin de complexes universitaires, nos élèves sont majoritairement des étudiants universitaires ou jeunes actifs (20-35). Le fait de travailler avec des personnes âgées (et parfois issues du monde académique) offre une vraie plus-value, car il y a véritablement un travail critique (une certaine ouverture d’esprit) qui a déjà été réalisé. Tout cela favorise grandement le transfert de connaissances techniques.



Proposez-vous des cours particuliers ?


A : Les cours privés sont l’occasion de son consacrer entièrement à un élève et d’examiner tous les aspects de sa pratique. C’est un bon moyen d’avancer mais s’adresse à des élèves investis qui souhaitent progresser plus rapidement.


FG : En effet, et c’est pour cette raison que nous organisons pratiquement chaque semaine des séances privées (ou des stages en été) pour les étudiants qui désireraient poursuivre leur développement technique. Ces séances sont, certes, une charge de travail supplémentaire, mais il est toujours extrêmement gratifiant de pousser nos étudiants à exceller dans leur pratique martiale. Les voir évoluer et se dépasser est toujours une vraie récompense.



En quoi votre pratique est-elle différente des clubs de sports classiques ?


A : Il y a quelque chose de paradoxal à pratiquer un art martial traditionnel nippon en tant qu’occidental au 21e siècle … Notre culture, centrée sur l’expression du moi, est bien éloigné de l’idéal du détachement asiatique. Qu’a-t-on donc à apprendre de tout ce cérémonial d’apparence vétuste qui constitue le Reishiki (l’étiquette) ? Et plus encore, en termes d’auto-défense, n’existe-t-il pas bien des techniques de combats modernes plus performante dont la plus aisée reste l’usage d’un 9mm ?


Je pense qu’il y a une certaine leçon de patience et de discipline à tirer d’un art aussi ancien que le Katori. Nous sommes ici dans quelque chose de difficile et d’exigeant, qui nécessite de s’investir sur une longue période avant de récolter les fruits de notre labeur. Voilà qui va à contre-courant de notre mode de vie actuel du « tout, tout de suite » et qui constitue un apprentissage important.

Un autre intérêt du Katori est la relation qu’il permet de tisser entre pratiquants : les techniques au sabre de l’école sont réelles et nécessite une vigilance importante. Celles-ci se réalisant à deux, impossible de progresser sans une grande confiance mutuelle ainsi que sans une bonne perception de la disponibilité de l’autre. Ceci est d’autant plus vrais que l’on progresse dans la technique et que l’on intègre de plus en plus de vigueur et précision à nos gestes. Être réceptif non seulement à soi-même mais également à la personne en face de nous pour être capable de produire, ensemble, une technique juste est très enrichissant.

FG : Je suis d’accord avec Adrien, néanmoins, je me dois d’ajouter qu’enseigner cette pratique martiale devient compliquée dans notre pays, faute de vraies infrastructures fédérales ou d’initiatives collectives.

Heureusement, nous pouvons toujours compter sur une poignée de partenaires fiables (dont le désir de pratiquer et de partager demeure tenace), mais faute d’une vraie approche globale et solidaire, nous avons souvent l’impression d’être livrés aux fluctuations du marché. Or, il devient difficile de concurrencer les perspectives « New-Age » tendances de « recherche de soi et développement personnel », voire les approches plus « pragmatiques » des sports modernes d’auto-défense comme le MMA ou le Kraf-Maga.

Pourtant, je suis persuadé que les arts-martiaux peuvent occuper une place toute à fait centrale dans le paysage sportif belge, mais j’ai l’impression qu’il y a une forme de désaveu dans cette pratique martiale moderne qui tend à reclure et à transformer la technicité martiale à la seule lumière du Do (de la Voie). Cette perspective éthérée conduit naturellement à une approche bien plus intéressée par son seul aspect théorique et philosophique que par sa véritable efficacité technique. Ce qui est bien dommage, puisque l’excellence martiale réside précisément dans cette alliance du geste et de la pensée dans l’Action.

Dès lors, les arts-martiaux belges font souvent office de « zone à vide », où nous rencontrons le plus souvent des gens en manque de repères, désireux d’être encadrés par une certaine discipline martiale (ce qui est tout à fait bénéfique), mais malheureusement moins attirés par son aspect plus pratique et sportif. Un cercle vicieux qui tend malheureusement à encourager une vision biaisée de nos pratiques martiales, plus proche d’une « danse philosophique » que d’une véritable pratique de vie.

Or, cette vie, il s’agit justement de pouvoir la préserver, et c’est principalement ce à quoi doit pouvoir aboutir notre encadrement martial. En effet, la globalité de notre pratique (sa dimension philosophique, pratique, sportif, nutritive, sociale, etc.) forge non seulement sa grande polyvalence, mais surtout capacité d’adaptation et de réaction face à l’imprévu. On ne peut jamais être certain de quoi sera fait demain (perte d’un proche, agression, échec, etc), mais on peut néanmoins s’y préparer au mieux dès aujourd’hui en élaborant une multitude de réponses cadrées et optimales. Cette vigilance face aux contingences de la vie, c’est véritablement là qu’évolue, selon moi, nos arts martiaux.



Combien avez-vous de professeurs, de mentors et qui sont-ils ? Continuez-vous à pratiquer avec eux ?


A : Nous sommes liés de près à nos amis français de Franche-Comté, l’essentiel de notre bagage nous vient de Lionel Oudart et de ses enseignants. Je ne leur serai jamais suffisamment reconnaissant pour leur attention et infinie patience dont ils ont toujours fait preuve dans la transmission de leur art qui est bien plus qu’un simple ensemble de technique mais une pratique de vie à part entière.


Néanmoins, je pense que nous avons notre propre vision du Katori shinto Ryu et le bokken est le seul véritable « maître ». Se réclamer de tel ou tel « courant », « style », ou « branche » d’un art martial traditionnel n’a à long terme pour effet que d’isoler les pratiquants tout en enfermant l’esprit. A charge du pratiquant honnête de trier le bon grain de l’ivraie. La seule pratique qui vaut se fait l’arme à la main et non par de longs discours.

 

FG : Je suis tout à fait d’accord avec Adrien, nôtre seul véritable maître c’est finalement le « travail ». Malgré tout, j’ai rencontré plusieurs professeurs qui, au cours de ma pratique martiale, ont réellement su me pousser à me dépasser. Le premier d’entre eux, et sans qui je n’aurai jamais débuté les arts-martiaux, est Robert Dejardin.


Ceci dit, comme Adrien, j’ai toujours une certaine réticence à succomber à l’idéalisation du rôle de professeur ou de Maître. Pour moi, la meilleure manière de rendre hommage à ceux qui nous ont permis d’avancer, c’est justement de poursuivre leur travail. Je dis souvent que la pratique des arts-martiaux est comparable à la recherche scientifique, et je le crois vraiment.


En effet, à l’image d’une course relais poursuivant un objectif infini, les mentors (ou les professeurs) n’ont finalement vocation qu’à préparer l’étudiant à poursuivre leur propre élan. Il ne s’agit donc pas de terminer cette course (et d’atteindre une quelconque forme d’excellence ultime ou de vérité ultime), mais plus simplement de persister dans l’élan initial que son ou ses maîtres auront permis de développer. Il ne s’agit donc pas de rester infiniment fixer sur leur position de départ (de figer à jamais leur technique), mais bien de tracer notre propre route sur base des bagages qu’ils nous auront transmis.



Quelle est votre technique préférée / votre geste préféré ?


A : Question difficile. Je n’ai pas de geste préféré en tant que tel, c’est l’échange avec le partenaire qui m’intéresse et il y a alors autant de technique que d’association de partenaire. A choisir le geste pour le geste ce serait le nodo-tsuki depuis suwari gedan de Sha no tachi, très épuré.


FG : Hmm…je n’ai pas réellement de technique favorite, mais j’apprécie assez bien la structure du In no kame. Cette garde brille par sa polyvalence, et représente à mes yeux tout le potentiel offensif et défensif du Katori. En effet, cette garde offre un large éventail d’actions (shimus, do uke, etc.) tout en concédant une surface de contact extrêmement réduite. Le In « positif » constitue un excellent outil pour s’extraire de situations périlleuses, tout en pouvant compter sur un large panel de possibilités offensives par son association épaules-hanches-dorsaux.


Posture IN NO KAMAE



Quels sont vos futurs projets en tant qu’enseignant ? Vos objectifs ?


A : Fonder une section en Suisse tout en gardant des contacts réguliers avec les Français et les Belges. Au 21e siècle l’individu n’existe plus, il est nécessaire de nous associer en réseau.



FG : En Belgique, nous avons actuellement plusieurs projets dans les bacs, mais quelque peu retardés par la crise du Covid-19 :


- Dans un premier temps, nous sommes en train de mettre sur pieds (et plus précisément l’un de nos élèves, Arnaud Ilbert), en collaboration avec d’autres dojos et clubs d’escrime médiévale européenne, un projet de reconstitution de combat en armure japonaises. Nous aimerions pouvoir tester le Katori sur un « vrai » champ de bataille, avec les dangers que cela comporte (archers, mêlées, etc.). L’occasion pour nous de développer toutes les velléités offensives et défensives du Katori dans un conflit ouvert, tout en y ajoutant les possibilités qu’offre le port de l’armure. Une chouette expérience en perspective !


- Nous développons également, en collaboration avec la région wallonne et la province de Namur (le TRAKK), un bokken adapté aux contraintes de notre époque moderne. En effet, à l’image des Samurais (qui s’acharnaient à constamment faire évoluer leurs outils, afin que ces derniers demeurent à la pointe de la technologie), nous avons cherché à ré-imaginer un outil de travail puisant dans ce que peut nous offrir de mieux l’ingénierie moderne. Alliant ligne traditionnelle et matériaux d’une plus grande résistance, nous avons voulu redynamiser, voire réadapter, nos armes aux contraintes modernes, et avec elles, notre art et sa pratique.



Un adjectif ou un mot qui vous résume dans votre pratique ?


A : Interaction


FG : Incarnée



Un message pour la jeune génération ?


A : Nous vivons une époque difficile et il devient urgent de reprendre une forme de contrôle sur nos vies enchâssées dans le moule sociétal qui a été pensé pour nous.


Le Katori est un art martial. Un art cru. Il ne laisse pas de place au paraître. Tel la lame qui sort du fourreau il nous oblige à nous défaire des faux-semblants et être tels que nous sommes, avec nos qualités comme nos faiblesses. C’est quelque chose qui est difficile pour notre génération habituée à avoir un contrôle total sur l’image qu’elle renvoie, notamment au travers des réseaux sociaux.


Lorsque les deux partenaires sont réceptifs et se font confiance, L’échange se transforme. Les bokkens s’entrechoquent, le souffle se fait court et nos cinq sens sont à vif… Il arrive alors que l’on effleure dans l’action un état de grande lucidité, bien éloigné de toutes ces théories intellectuelles. Curieusement ces kajos-là se terminent souvent sur un éclat de rire. Ces valeurs seront essentielles pour le monde de demain.


FG : Cette dernière question, et l’intervention d’Adrien, me permettent de rebondir sur la précédente : Travaillez toujours votre art en restant au contact des contraintes réelles. Tout comme il n’y a jamais de texte sans contexte, il ne peut y avoir de technique sans réel. En effet, ce sont précisément les contraintes extérieures qui doivent nous pousser à faire évoluer nos techniques, à optimiser notre capacité d’action. Comme le disait si bien Bruce Lee :


« Sois comme l'eau qui trouve son chemin à travers les fissures. Ne sois pas assuré, mais adaptes toi à l'objet et tu trouveras un moyen de le contourner ou de passer à travers. Si rien en toi ne reste rigide, les choses extérieures vont se révéler. […] Si tu mets de l'eau dans une tasse, elle devient la tasse ».

Bruce Lee



Cet esprit de polyvalence et d’adaptation doit également se retrouver pendant un combat. Il ne s’agit pas de simplement appliquer machinalement ses kajo (ça, une machine peut le faire, et bien mieux que nous d’ailleurs), mais de faire tellement corps à eux que l’on s’ouvre à l’interprétation, à la bifurcation. Alors, tout comme l’eau, rien ne peut réellement nous contenir totalement.


Or, c’est malheureusement une récurrence que je constate de plus en plus dans le milieu des arts-martiaux, cette volonté de tout idéaliser. On commence par idéaliser son Maître (c’est le meilleur, il aurait tout compris), puis on idéalise son enseignement (et ses nombreuses « techniques secrètes »), et enfin on idéalise notre propre technique (qui serait la meilleure, la plus pure »). Au final, les gens ne progressent plus, écrasés par la transcendance mystique qui entoure la pratique martiale de leur école. On aboutit, alors, à des pratiquants reclus dans une posture sectaire et incapables de se remettre en question. La technique en pâti nécessairement.


C’est donc cela que je dirai aux jeunes générations, demeurez ouverts aux interprétations, n’ayez pas peur de critiquer la technique, de la remettre en question, de la désassembler pour mieux la comprendre. Ne succombez pas aux sempiternelles promesses d’une technique idéalisée. N’oubliez jamais qu’un dojo reste un lieu d’entrainement, et qu’il ne pourra jamais refléter totalement le réel lui-même. Néanmoins, ce lieu reste utile, car il nous permet de travailler nos capacités d’adaption et de réaction face à la contingence que recèle, par contre, ce même réel. Comme je ne cesse de le répéter à mes étudiants : « Il vaut mieux être un Samurai dans son jardin, qu’un jardinier à la guerre ».